A PROPOS DE LA CESSION DE
« L’ALSACE-LORRAINE » A L’EMPIRE ALLEMAND …
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Dès le 04
août 1870, la 3ème armée allemande envahit l’Alsace par Wissembourg.
Défaite française au château du Geisberg. Dès le 06 août, au soir de la
bataille de Woerth-Froeschwiller (Reichshoffen), tout le nord de l’Alsace est
abandonné. Mac-Mahon évacue le gros de ses forces par Saverne. Investie le 12
août 1870, la ville de Strasbourg subit, à partir du 13, un bombardement
intensif dirigé par l’allemand Werder. Le 27 septembre 1870, le général Uhrich,
défenseur français de Strasbourg, se résigne à capituler. Les troupes de Werder
marchent ensuite sur Colmar et Mulhouse. Sélestat subit un siège de quinze
jours et ne capitule qu’en flammes. Neuf-Brisach combat jusqu’en novembre 1870
tandis que Belfort (assiégé le 02 novembre) tient glorieusement, sous le
commandement du colonel Denfert-Rochereau qui ne cède à Treskow que le 18
février 1871, sur l’ordre du Gouvernement de la Défense nationale. Dès le 14
août 1870, un ordre de cabinet allemand nomma « gouverneur général de
l’Alsace » von Bismarck-Bohlen (cousin du chancelier), provisoirement
installé dans la ville historique de Haguenau. Dès septembre, la « carte
au liseré vert », publiée à Berlin, délimita les ambitions territoriales
des Allemands. Entrant dans Strasbourg conquise, Bismarck-Bohlen signait, le 08
octobre, une proclamation retentissante : « Strasbourg à partir
d’aujourd’hui sera et restera une ville allemande » (sur l’affiche du
gouverneur, les Alsaciens resistèrent en inscrivant en lettres énormes
« Jamais ! »).
Dans un
régime d’annexion, les élections à l’Assemblée Nationale eurent lieu sans
préparation ni publicité. Les cinq septièmes des bas-rhinois se rendirent
cependant aux urnes.
Vendredi 17 février 1871 – A l’Assemblée Nationale repliée à Bordeaux.
En uniforme d'Officier français, le Belfortain Emile
Keller, député du Haut-Rhin, monte à la tribune de l’Assemblée Nationale et lit
la protestation rédigée en accord avec les députés d'Alsace et de Lorraine par
le député du Bas-Rhin Léon Gambetta.
Texte original de cette Déclaration : Page 1 – Page 2 – Page 3 – Page 4
Pendant
l’exposé du rapporteur général Emile Keller, ce 17 février 1871, le
député-maire de Strasbourg, Emile Küss supplie à genoux devant l’Assemblée Nationale
de ne pas abandonner un seul pouce de terre aux Allemands. Prenant l’engagement
de considérer une éventuelle cession, comme un acte nul et non avenu, Emile
Küss déclare que « nous, Alsaciens, nous continuerons à rester Français,
ne serait-ce qu’en tant que Français de l’extérieur. »
Mercredi 1er mars 1871 – A l’Assemblée Nationale repliée à Bordeaux.
Le 1er
mars, Emile Keller remonte à la tribune, à la place d’Emile Küss (maire de
Strasbourg et député du Bas-Rhin) « qui se meurt de douleur ».
Il
proteste, « comme Alsacien et comme Français, contre un traité qui, à ses
yeux, est une injustice, un mensonge et un déshonneur », il en appelle
d'avance à Dieu, à la postérité, à tous les peuples.
Les
préliminaires sont cependant ratifiés (par cinq cent quarante-six [546] voix
contre cent sept [107]), après une adjuration de Thiers et le vote d'une
résolution sans illusion : «L'Assemblée Nationale, accueillant avec la plus
vive sympathie la déclaration de M. Keller et de ses collègues, s'en remet à la
sagesse et au patriotisme de ses négociateurs.»
Le préfet
du Haut-Rhin et député de Colmar, M. Grosjean, gagne alors la tribune de
l’Assemblée et lit la protestation qui fonde la plus intangible des
revendications :
Protestation
lue à Bordeaux le 1er mars 1871, à la tribune
de l'Assemblée
Nationale, par le député Grosjean,
au
nom des 27 députés Alsaciens et Lorrains
« Les représentants de l'Alsace et de la Lorraine ont déposé, avant toute négociation de paix, sur le bureau de l'Assemblée Nationale, une déclaration affirmant de la manière la plus formelle, au nom de ces deux provinces, leur volonté et leur droit de rester françaises.
Livrés, au mépris de toute justice et
par un odieux abus de la force, à la domination de l'étranger, nous avons un
dernier devoir à remplir.
Nous déclarons encore une fois nul et non avenu un pacte
qui dispose de nous sans notre consentement.
La revendication de nos droits reste
à jamais ouverte à tous et à chacun dans la forme et dans la mesure que notre
conscience nous dictera.
Au moment de quitter cette enceinte
où notre dignité ne nous permet plus de siéger, et malgré l'amertume de notre
douleur, la pensée suprême que nous trouvons au fond de nos coeurs est une
pensée de reconnaissance pour ceux qui, pendant six mois, n'ont pas cessé de
nous défendre, et d'inaltérable attachement à la patrie dont nous sommes
violemment arrachés.
Nous vous suivrons de nos voeux et nous attendrons, avec
une confiance entière, dans l'avenir, que la France régénérée reprenne le cours
de sa grande destinée.
Vos frères d'Alsace et de Lorraine,
séparés en ce moment de la famille commune, conserveront à la France, absente
de leurs foyers, une affection filiale, jusqu'au jour où elle viendra y
reprendre sa place. »
Puis, « sombres
et silencieux » (d’après les témoins de la scène), les vingt-sept députés
d’Alsace et de Lorraine quittèrent la salle, malgré les supplications de leurs
collègues.
Ce jour
même où l’Assemblée Nationale siégeant à Bordeaux ratifiait la cession de
l’Alsace à l’Allemagne, Emile Küss, le cœur brisé en apprenant la décision
d’abandon, décède d’une crise cardiaque (1er mars 1871 à Bordeaux).
Une semaine plus tard, le corps du défunt ayant été rapatrié dans sa ville, la
population de Strasbourg lui fera d’émouvantes obsèques le 08 mars 1871 et
des milliers de personnes accompagneront le défunt à sa dernière demeure
(cimetière Sainte Hélène), où il repose.
Un seul
des Alsaciens siégera à Versailles : Emile Keller, élu en juillet député
du Haut-Rhin pour le lambeau du territoire de Belfort.
Les
députés protestataires d’Alsace et de Lorraine avaient été élus le 08 février
1871, et déclaraient refuser une annexion accomplie contre le droits des
Alsaciens et Lorrains à s’exprimer eux-mêmes, par plébiscite pour ou contre
l’annexion.
Parmi les
27 députés protestataires, avaient été élus députés du département du
Bas-Rhin :
M. Emile
KUSS, maire de Strasbourg
M. Edouard TEUTSCH
M. ALBRECHT
M. MELSHEIM
M.
Charles-Auguste SCHNEEGANS, rédacteur en chef du “Courrier
du Bas-Rhin”, écrivain et archiviste de la Ville de Strasbourg (sera ensuite
député protestataire de Saverne [Zabern] au Reichstag)
M.
Jacques KABLÉ, directeur d’assurances et homme politique,
adjoint au maire de Strasbourg (sera ensuite député protestataire au Reichstag
à Berlin)
M.
Alphonse SAGLIO
M. Léon
GAMBETTA (élu dans plusieurs départements, il choisit
symboliquement de représenter le Bas-Rhin)
M. OSTERMANN
M. BOERSCH
M. Jules
FAVRE
Avaient
été élus députés du département du Haut-Rhin (comprenant Belfort) :
M. Emile
KELLER
M. le
colonel DENFERT-ROCHERAU, Gouverneur militaire de Belfort
M.
GROSJEAN, préfet du Haut-Rhin à Colmar
M. A.
TASCHARD
M.
CHAUFFOUR
M. Léon
GAMBETTA (qui choisit symboliquement de représenter le Bas-Rhin)
M. TITOT
M. Frédéric HARTMANN
M.
RENCHER
M.
Auguste SCHEURER-KESTNER, industriel (futur sénateur inamovible)
M.
KOECHLIN
M. ANDRÉ
(cette liste ne comporte pas l’ensemble des députés élus en
février 1871)
Le 1er
mars 1871, l’Assemblée Nationale siégeant à Bordeaux ratifiait les
préliminaires du 26 février, et dont le premier article entérinait la cession
de l’ensemble du département du Bas-Rhin, du département du Haut-Rhin (à
l’exception du territoire entourant Belfort), du département de la Moselle (à
l’exception du bassin de Briey), des arrondissements de Sarrebourg et de
Château-Salins (amputés au département de la Meurthe), et de la haute vallée de
la Bruche (canton de Schirmeck et demi-canton de Saales, amputés au département
des Vosges). Le 10 février 1871 était signé le Traité de Francfort, qui
délimitait un périmètre de Belfort plus avantageux pour la France, moyennant
des concessions en Lorraine (« la France renonce en
faveur de l’Empire Allemand à tous ses droits et titres sur les territoires
situés à l’est de la frontière ci-après désignée. » Article premier des
préliminaires)
« Les
sujets français originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur
ce territoire, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront
jusqu’au 1er octobre 1872, et moyennant une déclaration préalable
faite à l’autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en
France et de s’y fixer… » (article 2)
Elus aux
élections du 1er février 1874, des députés protestataires entrent au
Reichstag. Le 18 février, devant un Reichstag sarcastique, Edouard Teutsch,
député de Basse-Alsace, présente et défend la proposition rédigée la veille
chez l’Evêque de Strasbourg (Mgr Raess, élu député de Sélestat) :
« plaise au Reichstag que les populations d’Alsace-Lorraine, incorporés
sans leur consentement à l’Empire d’Allemagne par le Traité de Francfort,
soient appelées à se prononcer d’une manière spéciale sur cette incorporation. »
(Protestation des députés au Reichstag)
Le 04
juillet 1879, le Reichsland est doté d’un pouvoir détenu par le Statthalter
représentant le Kaiser à Strasbourg, assisté d’un ministère ; deux
Conseils exerceront le droit des habitants (la Délégation d’Alsace-Lorraine).
Le 18 janvier 1883, à la première séance de la Délégation tenue obligatoirement
en allemand, Hugo Zorn von Bulach, député de Molsheim, vint avec un
dictionnaire, son fils refusa le poste de secrétaire pour « insuffisante
linguistique » et le Colmarien Charles Grad, plutôt que de parler en
allemand, pris la parole en dialecte. Le français résista dans les séances de
commission.
Le 26 mai
1911, vote par le Reichstag d’une loi dite
"constitutionnelle", par laquelle l’Alsace-Lorraine devient un Etat
autonome au sein du Reich, ce qui lui permet de procéder à l’élection d’un
Landtag.
Le 28 septembre 1918 est instauré le statut d’un éphémère
« état fédéral d’Alsace-Lorraine ». Les députés Alsaciens-Lorrains
rappellent à la tribune du Reichstag que l’un des 14 points du Pdt Wilson
stipule le retour de l’Alsace-Lorraine à la France. Une des clauses de
l’armistice concerne la rétrocession à la France des territoires cédés à
l’Allemagne par le Traité de Francfort du 10 mai 1871. Ce retour est confirmé
le 28 juin 1919 par le Traité de Paix signé à Versailles.