Biographie du Rme Dom Joseph Pothier


Biographie sommaire

Dom Joseph Pothier (1835-1923) - Liturgiste français - Moine bénédictin de l'Abbaye de Solesmes (1859), sous-prieur de Saint Pierre de Solesmes (1862-1863 et 1866-1893), prieur de l'Abbaye de Saint Martin de Ligugé (1893-1895), puis Révérendissime Abbé de Saint Wandrille de Fontenelle (installé sur le siège abbatial le 24 juillet 1898), abbaye normande qu'il avait relevée en 1895.

Musicologue, disciple et collaborateur de l'Abbé et de Solesmes Dom Guéranger, il a contribué à la renaissance et à la restauration du Chant Grégorien. Exilé en Belgique avec sa communauté dès 1901 (loi Waldeck Rousseau sur les Associations), nommé par le Pape St Pie X, en 1904, président de la "Commission pontificale pour l'édition vaticane des livres liturgiques grégoriens", il réside à Rome de 1904 à 1913. Auteur d'études sur le chant grégorien (Les Mélodies grégoriennes d'après la tradition, 1880), Dom Pothier fut également directeur de la Revue du Chant Grégorien (1892-1914). Son Liber Gradualis servit de base au Graduel Vatican qui parut en 1908.

Biographie complète

Né le 07 décembre 1835 à Bouzemont (Département des Vosges), Joseph-Marie POTHIER est le fils de Joseph Pothier, instituteur de Bouzemont, et de son épouse Thérèse Viriot, fileuse. Baptisé le lendemain, 08 décembre 1835 (Immaculée Conception), avec pour marraine sa tante paternelle Marguerite Pothier (ép. P.-Nicolas Maillard). Son frère cadet Jean Baptiste Marie Alphonse Pothier, né le 1er novembre 1839 à Bouzemont, deviendra également moine bénédictin (Dom Alphonse Pothier, entré à Solesmes en 1863). Acte de naissance de Dom J. Pothier

Dom Joseph Pothier fut à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, un des bénédictins les plus connus, du fait de son oeuvre de restauration du chant grégorien, accomplie dans un premier temps à Solesmes sous l’égide du Révérendissime Abbé Dom Guéranger. Sa personnalité, pourtant discrète, fut mise en avant lorsqu’il fut choisi par le pape St Pie X pour présider la Commission pontificale pour l’édition vaticane des livres liturgiques grégoriens de l’Eglise. 

Le futur abbé Joseph Pothier fait ses études au petit séminaire de Senaide, Vosges (octobre 1848-1850), puis au séminaire de Châtel, Vosges (1850-1854) et enfin entre au grand séminaire de Saint Dié, Vosges (1854-1858), où il étudie jusqu'à son ordination sacerdotale. Ordonné prêtre du diocèse de Saint-Dié le 18 décembre 1858, il émet ses vœux à Solesmes le 1er novembre 1860 (En 1837, Dom Guéranger venait de restaurer en France la vie monastique bénédictine, disparue depuis la révolution française).

Après avoir gagné Sablé sur Sarthe et être entré à l'Abbaye Saint-Pierre de Solesmes dirigée par son premier Abbé Dom Prosper Guéranger, Joseph Pothier goûte au chant liturgique. Dom Guéranger avait voulu pour son monastère une interprétation plus authentique des mélodies grégoriennes, même en se servant d’abord d’une édition imparfaite, interprétée cependant d’après les règles traditionnelles. Suivant l'Abbé de Solesmes, Dom Joseph Pothier commence ses recherches en vue de la restauration du plain-chant grégorien (dès 1840, Dom Guéranger avait posé dans ses Institutions liturgiques, le principe de la restauration grégorienne. Cette Méthode parut en 1859). Dès le 15 juillet 1860, Dom Guéranger charge Dom Pothier d’exposer à la communauté la méthode du chanoine Gontier. Dom Pothier demeura marqué par cette double influence, celle du chanoine Gontier qui avait théorisé et diffusé la pratique de la prière chantée solesmienne, et celle de Dom Guéranger, pour le rétablissement du patrimoine grégorien dans sa pureté ancienne.

Dom Guéranger souhaitait alors que Dom Jausions et Dom Pothier établissent les livres de chœur de leur monastère, d’après les mélodies et notes fournies par les manuscrits anciens. En 1862, les deux Bénédictins s’attellent à l’étude des manuscrits notés en neumes. Dom Pothier s’attaque au codex 359 de l’Abbaye de Saint-Gall (Suisse). Persuadé clairement de la permanence de la tradition musicale, Dom Pothier a l’idée simple de comparer le texte et la mélodie du manuscrit de Saint-Gall - neumes sans lignes de portée - avec les mêmes textes et mélodies transcrites sur lignes de portée. Quand il sera passé du stade du travail de recherche, à celui de l’édition, on lui décernera  le titre de “Champollion des neumes”... En 1866-1867, les deux moines travaillent à justifier par écrit leurs travaux de recherche sur les anciens manuscrits et leur interprétation, Dom Jausions se réservant la rédaction de ce qui concerne l’accentuation latine. Dom Guéranger hésita toutefois à publier ce mémoire, qui, entièrement repris par Dom Pothier, paraîtra en 1880 sous le titre Les Mélodies grégoriennes, dont l’édition marque une date dans l’histoire de la restauration du Chant Grégorien. Pour Dom Guéranger, deux ouvrages doivent être rédigés en urgence : le Graduel pour les pièces chantées de la messe, et l’Antiphonaire, pour les pièces chantées de l’Office. Dom Pothier, lui, s’attache au Graduel, collationnant les manuscrits avec Dom Jausions, mais le choix des mélodies définitives incombait à Dom Pothier. Anticipant sur les résultats de ses recherches, car ne pouvant publier le Graduel en cours de préparation, Dom Joseph Pothier fournit à Dom Benoît Sauter, moine allemand de l'Abbaye de Beuron, un Graduel corrigé sur les meilleurs manuscrits, ce qui permit d’exécuter à Beuron le Plain-chant “d’une manière rationnelle, sensée, harmonieuse”, c’est-à-dire comme à Solesmes.

Dom Pothier se met à la recherche de manuscrits et les voyages se succèdent pour lui à partir de 1865 : Saint-Gall, Laon, Colmar, Epinal. “Intelligence supérieure, esprit fin et très délicat, il voyait tout sans avoir l’air de regarder. Au cours d’un voyage en Allemagne et en Autriche, Dom Paquelin lui disait : “vous êtes désespérant, vous baissez les yeux, je me les écarquille et au total vous avez tout vu et presque tout m’a échappé”. En 1866, Dom Pothier effectue de nouveaux voyages à Colmar, Laon, Munster, Bâle, Troyes. Dom Pothier peut plus librement rédiger la préface au Directorium chori dont la publication est souhaitée par Dom Guéranger mais qui ne verra pas le jour. À partir de 1867, Dom Jausions s’oriente davantage vers les études historiques et délaisse les questions grégoriennes, qui deviennent le domaine exclusif de Dom Pothier.

Le Liber Gradualis est terminé en 1869. En 1870 et 1871, Dom Joseph Pothier et son frère Dom Alphonse Pothier (qui l'avait rejoint comme Bénédictin à Solesmes), passent plusieurs mois dans leur village lorrain, Bouzemont, en raison des maladie et morts successives de leurs parents ; la guerre franco-allemande les y surprend. L’année 1873 voit la parution à Solesmes du Processionnal lithographié. Comme il n’existait pas alors de caractères d’imprimerie pour représenter les neumes restitués par Dom Pothier, ils furent lithographiés (les deux frères Pothier en furent les graveurs).“Son grand plaisir, durant la récréation hivernale du soir, où un groupe variable se réunissait à Solesmes autour de sa cheminée, était de fondre du plomb dans la pelle à feu et de le faire figer dans une boîte de plumes en carton, ou encore de tailler avec un couteau, un bout de bois qui sortait toujours transformé en poinçon d’imprimerie ou en objet d’utilité commune”.

Durant l’été 1875, quelques mois après la mort de Dom Prosper Guéranger, le Cardinal Pitra, ancien moine bénédictin de Solesmes (Dom Jean Baptiste Pitra, entré à Solesmes en 1843, appelé à Rome en 1858 par Pie IX), et qui fut bibliothécaire de la Sainte Eglise Romaine, presse le Révérendissime Dom Charles Couturier,  successeur de Dom Guéranger sur le siège abbatial de Solesmes, d’obliger Dom Pothier à publier ses travaux.

Les projets attendront néanmoins plusieurs années avant de voir le jour. Dom Pothier ne donne ses premiers articles, qui révèlent ses qualités de paléographe et sa profonde connaissance du chant grégorien, qu'au cours de l’année 1877. Ils sont rédigés alors que leur auteur poursuit chaque année des voyages d’études et d’apostolat grégorien en France ou en Allemagne. L’année 1879 voit le premier congrès grégorien de l’Abbaye Cistercienne d’Aiguebelle, qui fait connaître Dom Pothier dans le monde Cistercien : l’année suivante, le Bénédictin donne des conférences dans une autre Abbaye du même ordre, à Bellefontaine.

Paraissent à Tournai en 1880, pour le quatorzième centenaire de la naissance de saint Benoît, Les Mélodies grégoriennes d’après la tradition, qui renferment les principes qui vont présider à la résurrection du chant grégorien, livre qui connaît un large succès, qui fait l’objet de rééditions successives et sera rapidement traduit.

En 1881 se déroule le deuxième congrès d’Aiguebelle. Le congrès de chant liturgique d’Arezzo, en 1882, voit se rencontrer tenants et opposants du Graduel édité en 1868 par Pustet, de Ratisbonne ; parmi les participants, Dom Pothier et Dom Schmitt, fondateurs de l’imprimerie de Solesmes, et le chanoine Sarto, futur pape St Pie X. Le congrès était réuni en vue de la réforme du chant liturgique. Dom Pothier en fut le participant le plus écouté. Des vœux furent émis à l’issue de ce congrès, mais ne purent être présentés au Saint-Siège, bien qu’ils visaient à une conformité plus grande des livres de chant avec la tradition. Le congrès ne put donc avoir de suite directe immédiate.

Le Liber Gradualis sort en 1883, “à l’usage de la congrégation bénédictine de France”. Il est utilisé aussitôt par les moines de Solesmes et par sa schola, créée au sein du chœur de Solesmes et confiée alors au jeune Dom André Mocquereau. Le cardinal Pitra présente le Liber Gradualis au pape Léon XIII, qui envoie à Dom Pothier un bref élogieux, toutefois atténué par un autre texte quelques mois plus tard.

Dès lors, publications de livres de chœur et articles scientifiques se multiplient sous la signature de Dom Pothier. Sollicité par les diocèses et congrégations religieuses, il compose nombre d’offices propres.

Le premier tome de la Paléographie musicale voit la publication du codex 339 de Saint-Gall, copié jadis par Dom Pothier, et qui donnait l’ensemble du répertoire du Graduel. Les tomes suivants s’attacheront à montrer tous les témoins d’une pièce du répertoire, comme le répons graduel Justus ut palma : 219 manuscrits donnent la même mélodie - sauf variantes de détails -, celle restituée par Dom Pothier dans le Graduel de 1883.

L’année 1891 voit le congrès Saint Grégoire à Rome, la parution à Solesmes du Liber antiphonarius, et les Principes pour la bonne exécution du chant grégorien ; en 1892, c’est le début de la collaboration avec la Revue du Chant Grégorien de Grenoble, et le développement de l’apostolat grégorien par des conférences pratiques. Plus que sa parole publique, c’était sa conviction et sa science qui emportaient l’adhésion au cours d’entretiens familiers.

Dom Joseph Pothier est sous-prieur de l'Abbaye de St-Pierre de Solesmes de 1862 à 1863, puis de 1866 à 1893. Il devient ensuite prieur de l'Abbaye bénédictine de Saint-Martin de Ligugé de 1893 à 1895.

Située sur la rive droite de la Seine, près de Caudebec (Seine Maritime), une Abbaye normande, Saint Wandrille de Fontenelle était privée de moines depuis la révolution française. Cette Abbaye normande avait été fondée en 649 par saint Wandrille. D'abord connue sous le nom d'Abbaye de Fontenelle, elle prit par la suite le nom de son fondateur. Très importante dans le haut moyen-âge, elle tomba en commende au XIVème siècle, puis entra dans la congrégation de Saint-Maur en 1636. Supprimée par la Révolution en 1791, l'abbaye est vendue comme bien national à un industriel d’Yvetot, Cyprien Lenoir et les derniers moines se dispersent. De 1792 à 1832 ; se déroule la destruction de l’abbatiale, utilisée comme carrière de pierre. Les bâtiments de l'abbaye furent transformés en manufactures. En août 1893, l’Evêque auxiliaire de Rouen, Monseigneur Jourdan de La Passardière propose d’effectuer la restauration monastique de Saint-Wandrille (les Bénédictins avaient déjà relevé les Abbayes de Solesmes, de Ligugé, de Wisques, de Marseille...). Le monastère ayant été restauré canoniquement par rescrit pontifical, la re-fondation de Saint Wandrille s’effectua à partir du 13 février 1894, dans un premier temps sous la direction de Dom Jean-Martial Besse.

La première année de la fondation se révèle extrêmement ardue en raison des difficultés tant matérielles qu’humaines. C’est alors que le Révérendissime Dom Bourigaud, Abbé de Saint Martin de Ligugé, a la sagesse, et l’abnégation, de nommer celui qui était prieur de son monastère de Ligugé depuis près de deux ans, Dom Joseph Pothier, comme supérieur de la jeune et fragile fondation normande (le 26 déc., Dom Bourigaud annonçait à Saint Wandrille la nomination de Dom Pothier comme prieur, et le 8 février le nouveau supérieur y était reçu solennellement). L'Abbaye de Saint-Wandrille sera définitivement relevée par Dom Pothier et appartient toujours aujourd'hui à la congrégation de Solesmes.

Arrivant comme prieur de Saint-Wandrille le 8 février 1895, Dom Pothier apporte avec lui un renom, une réputation, celle de restaurateur du chant grégorien, oeuvre à laquelle il était attaché depuis plus de trente ans. Dès le 21 mars 1895, était promulgué l’acte de l’Abbé Primat de l’OSB, le Rme Hildebrand de Hemptinne rétablissant Saint-Wandrille comme Abbaye, tout en le laissant à la vigilance de son re-fondateur, le Révérendissime Abbé de Ligugé, mais sous la direction locale de Dom Pothier.

A Saint-Wandrille, à partir de 1895, le noviciat semble prospère, et des professions s’annoncent. La question de l’abbatiat était toutefois agitée à Ligugé, à Rome et à Solesmes. Le nombre canonique de religieux fut atteint en vue de permettre la restauration complète de l’Abbaye par la nomination d’un Abbé.

Dans une lettre du 23 juillet 1898, l'abbé Collette (aumônier du Lycée Corneille de Rouen) écrivait à Dom Pothier : « Mon Révérend Père, J'ai appris à Monseigneur le Cardinal [Archevêque de Rouen] l'heureuse conclusion de toutes les démarches faites pour la nomination d'un Abbé à Saint-Wandrille. Il se réjouit fort de voir ses vœux et ceux des amis de la maison enfin réalisés. Il avait, du reste, reçu une lettre du Rme Abbé Primat dont il m'a donné lecture, lui annonçant que le Pape lui avait dit dans son audience du 4 juillet qu'il désirait que l'on donnât sans retard satisfaction au Cardinal de Rouen pour l'affaire de Saint-Wandrille ». Le vendredi 22 juillet, « à midi, pendant le repas, le Père Abbé (de Ligugé, venu officier pour la fête du saint fondateur), a reçu une dépêche relative à la nomination d'un Abbé pour Saint-Wandrille et, pendant la récréation, s'est entretenu seul avec le Père Prieur Dom Pothier », note le chroniqueur.  Le lendemain, on en sait un peu plus long : « Hier le Père Abbé de Ligugé a reçu une dépêche du Rme Père Abbé de Solesmes donnant la permission d'introniser Dom Joseph Pothier comme Abbé de Saint-Wandrille ; la dépêche a été envoyée de façon que la chose aurait pu se faire hier ; mais Dom Bourigaud [Rme Abbé de Ligugé] a préféré envoyer à Dom Delatte [Rme Abbé de Solesmes] une invitation à la faire lui-même ; celui-ci a répondu aujourd'hui qu'il arriverait ce soir.

 

Le dimanche 24 juillet, à 3 h 30 de l'après-midi, eut lieu au chapitre la notification officielle de la nomination du Révérendissime Dom Joseph Pothier comme abbé de Saint-Wandrille de Fontenelle et son intronisation.  Dom Delatte félicita d'abord l'abbé de Ligugé de « l'initiative pleine d'entrain et de jeunesse » qu'il avait eue en restaurant Fontenelle. « Dom Bourigaud le remercia de ses paroles aimables ; pour lui, dit-il, il n'a été qu'un instrument, ce sont les saints de Fontenelle qui ont tout conduit ». Puis l'Abbé de Solesmes s'adressa à Dom Pothier pour constater « qu'expérience avait été faite de la sagesse de son administration et que les vœux de toute la communauté étaient conformes au choix fait par l'Abbé fondateur ». Aux moines, enfin, il souhaita l'accomplissement pour leur monastère de cette devise tirée du Psaume 121 : Fiat par in virtute tua et abundantia in turribus tuis, «paix qui est concorde fraternelle» et «paix de l'âme en Dieu, suivie par surcroît de l'abondance des biens temporels». « Dom Delatte fait alors donner lecture par Dom Froment, secrétaire du chapitre, de l'acte par lequel Dom Bourigaud nomme le Rme Dom J. Pothier Abbé de Saint-Wandrille. Les deux Abbés ensemble revêtent du rochet le nouvel élu, ainsi que du camail, de la calotte et de la croix pectorale ; puis, au chant du « Te Deum », procession par le grand réfectoire, le côté est du cloître et la chapelle du S. Sacrement.  A l'oratoire, trois trônes sont préparés, celui de Dom Delatte ayant seul un baldaquin. L'Abbé de Solesmes fait asseoir Dom Pothier sur le trône à baldaquin et se place debout à sa droite, Dom Bourigaud debout à sa gauche. (…) Puis commencent les Vêpres Pontificales célébrées par Dom Delatte.»

 

Rme Dom J. Pothier, Abbé de Saint-Wandrille

Le 24 juillet 1898, Dom Joseph Pothier est installé sur le siège abbatial de Saint-Wandrille. Il est le premier Abbé régulier de Saint-Wandrille de Fontenelle depuis Jacques Hommet au 16ème siècle (+1523). L’annonce de la nomination du Révérendissime Dom Pothier comme 76ème Abbé de Fontenelle, et plus encore sa bénédiction abbatiale (dont la cérémonie se déroule le 29 septembre 1898 et qui lui est donnée selon le rite Pontifical par le Cardinal Sourrieu, Archevêque de Rouen), emplirent de joie les bénédictins et  le clergé normand. Quatre ans et demi après sa restauration, la vieille abbaye normande avait réellement repris vie, y compris dans le cœur des “trop prudents normands”. Le Révérendissime Abbé Joseph Pothier prend pour devise « Ad te levavi animam meam », devise tirée du psaume 24,1 et signifiant "Vers toi j'ai élevé mon âme". Les Armes de Dom Pothier, abbé mitré, sont formées d' : « Un encensoir fumant sur champs d’azur, cantonné aux armes de Lorraine » ou «D'azur à l'encensoir d'or, allumé de gueules et fumant d'argent ; au franc-canton sénestre (ou dextre ?) du chef d'argent chargé de cinq croix de Lorraine de gueules en croix » (description donnée par St SAUD, in « Armorial des prélats français du XIXème siècle. Paris, 1906 »).

 

La cérémonie de la bénédiction abbatiale ayant été fixée au 29 septembre,  le Cardinal Sourrieu abrégera ses vacances pour procéder à la fonction liturgique. Il fut question un moment d'accomplir la cérémonie à Rouen, soit à la Cathédrale, soit à Saint-Ouen.  Mais, note la chronique, « tous ceux que Dom Pothier a consultés lui conseillent de la placer dans le monastère lui-même ». Le 29, le Cardinal officia pontificalement entouré d'un nombreux clergé (environ 150 prêtres présents).  Les Abbés assistants étaient le Rme Dom Delatte, Abbé de Solesmes et Supérieur général de la Congrégation bénédictine et le Rme Dom Bourigaud, Abbé de Ligugé.  Etaient également présents les Révérendissimes Pères Abbés Dom Gauthey, Abbé de Sainte-Madeleine de Marseille, Dom Guépin, Abbé de Silos, Dom du Coëtlosquet, Abbé de Saint-Maur de Glanfeuil... « Sous le cloître, dans le rayonnement de la robe écarlate du prince de l'Eglise, on voyait passer le froc noir et la coule de quelques moines ; la mantelletta et la croix d'or des abbés se mêlaient au surplis blanc de nombreux prêtres et à l'aumusse d'hermine des chanoines.  Des membres de diverses congrégations religieuses étaient là aussi, Dominicains, Franciscains, Jésuites.  Sans nul effort, un poète eut pu rêver que dix ou douze siècles vécus étaient subitement effacés.  L'antiquité chrétienne renaissait » (cité in « Semaine religieuse du Diocèse de Rouen », en date du 08 octobre 1898, page 969) - Après le repas, dans le réfectoire décoré des blasons des monastères de la Congrégation et des Abbayes normandes, plusieurs toasts furent prononcés.  C'est d'abord l'abbé de Solesmes qui s'adresse au cardinal : « Lorsque de vos mains et de vos lèvres descendait sur un frère très aimé, que Solesmes regretterait encore, si avant tout et au-dessus de tout, Solesmes n'était heureux et fier de vous l'avoir donné, lorsque de votre coeur, comme d'une plénitude, descendait sur lui la bénédiction qui fait les pasteurs prudents, tendres et forts, il nous a semblé, Eminence, assister non pas seulement à la création d'un prélat, qui avait, dans l'Eglise de Dieu, conquis des titres de grande naturalisation par la restauration du chant grégorien, à qui son nom demeure à jamais attaché, mais encore et surtout, assister à la restitution de tout un glorieux passé. (... ) Merci d'avoir rendu à l'Eglise, à la Métropole de Rouen, à la Congrégation bénédictine de France, cet inestimable joyau de la couronne monastique qui fut Saint-Wandrille ». Son Eminence répondit en faisant, avec une bonne grâce charmante, l'éloge de Dom Pothier, et en rappelant l'histoire de l'Abbaye ; son dernier mot fut un hommage au Cardinal Thomas.  Un merci du nouvel abbé à Son Eminence, aux Abbés, à toutes les personnes présentes ; et ainsi se termina la fête » (cité dans la même édition de la « Semaine religieuse du Diocèse de Rouen », 08 octobre 1898).

Son intérêt pour l’histoire de son monastère se manifeste de différentes façons. Dom Pothier encouragea d’abord son frère Dom Alphonse à copier les chroniques médiévales, puis d’autres moines à travailler l’histoire de l'Abbaye. Lui-même s’attache à des recherches sur la musique grégorienne en Normandie : une communication lors d’un congrès en 1896 le voit traiter de la musique sacrée en Normandie au XIème siècle, il compose une séquence en l’honneur de saint Wandrille en 1901, au moment où lui-même et sa communauté s’apprêtent à s’exiler ; il avait deux ans plus tôt obtenu l’approbation romaine des offices propres de son abbaye.

La loi Waldeck Rousseau (juillet 1901) sur les Associations (et contre les congrégations religieuses) et le refus de demander une autorisation, parti prôné par le Chapitre général de la Congrégation, amènent pendant l’été 1901 les communautés bénédictines françaises à chercher une terre d’exil. Pour la communauté de Saint-Wandrille, ce n’est qu’en septembre 1901 que ce lieu est trouvé, en Belgique, à Vonêche dans le diocèse de Namur. Dom Pothier obtient de l’Evêque prémontré de Namur, Monseigneur Heylen, l’autorisation de s’installer dans son diocèse. Celui-ci accueillit alors un grand nombre de communautés françaises en exil : les Bénédictins de Saint-Maur de Glanfeuil et de Wisques entre autres, étaient réfugiés près de la communauté de Saint-Wandrille. Vonêche sera la première étape, de septembre 1901 à 1904, d’un exil qui durera trente ans !

A l'échéance du bail de trois ans de Vonêche, les trente-sept moines bénédictins de la communauté trouvent un nouveau refuge dans le diocèse de Malines, au château de Dongelberg (actuelle commune de Jodoigne). Le 22 juillet 1909 fut célébré à Dongelberg le jubilé sacerdotal du Rme Abbé (pour lequel Dom Pothier reçu une lettre autographe de S.S. le pape Pie X, le 13 déc. 1908). La même année, son frère, Dom Alphonse, alors bibliothécaire de Saint-Wandrille en exil, décède à Dongelberg alors que Dom Joseph Pothier se trouve en route pour Rome. Pour cette seconde étape dans l’exil de la communauté, l'habitat fut le château de Dongelberg, à l'aspect très seigneurial, avec donjon, tours et tourelles, et vastes dépendances. On demanda à l’Archevêque de Malines, le cardinal Goossens l’autorisation de s’y installer en exil. Celui-ci refusa, car les bâtiments d’apparence trop luxueuse ne convenaient pas selon lui à un monastère... Après neuf ans de vie dans les lieux de Dongelberg, les bénédictins doivent à nouveau chercher un nouvel endroit ; ils reviennent dans le diocèse de Namur, dans un ancien prieuré de l’Abbaye d’Orval, à Conques, sur l'ancienne commune de Sainte-Cécile (province du Luxembourg, Belgique).

En revanche pour l’installation, en 1913, à Conques dans le diocèse de Namur, aucune difficulté ne surgit, puisque l’Evêque de Namur, Monseigneur Heylen, comprenait les difficultés des religieux exilés, ... et que les bâtiments occupés par les moines ressemblaient plus à une ferme délabrée qu’à un château. Le prieuré de Conques, à une quarantaine de kilomètres d'Orval (Abbaye située à Villers-devant-Orval, commune de Florenville), fut une possession de la communauté d'Orval sous l'Ancien régime. C'est à Conques que fut notifiée à la communauté sa dissolution en 1796, par les autorités françaises. Conques fut ensuite vendu comme bien national. Actuellement, le prieuré de Conques est une hostellerie. Les moines cisterciens d'Orval, dispersés en 1796, ne sont revenus en l'Abbaye d'Orval qu'en 1926. Le Domaine de Conques avait été acheté par un ami belge de Dom Pothier et de sa communauté, en vue de le louer aux moines de Saint-Wandrille. La construction d’un monastère fut commencée. La communauté s’y serait stabilisée de façon définitive, mais les travaux furent arrêtés par l’invasion allemande.

Après qu’il eut édité les livres de chant des monastères, Dom Pothier fut appelé à Rome par le Pape Pie X, et se vit confier l’édition vaticane des livres de chœur de la Sainte Eglise romaine. Le monde grégorien connaît alors des divisions en raison de la doctrine rythmique de Dom Mocquereau, maître de chœur de Solesmes. L’origine des éditions rythmiques prônée par lui est à chercher dans le désir de préciser le rythme à donner à la mélodie grégorienne. Déjà le chanoine Gontier du Mans, trente ans plus tôt, trouvait les principes de Dom Pothier trop vagues. C’est alors que, le 22 novembre 1903, Pie X décide de réformer le chant de l’Eglise romaine selon les recherches effectuées depuis quarante ans à Solesmes. A l’instigation de Dom Lucien David, moine de Saint-Wandrille alors étudiant au collège bénédictin Saint-Anselme de Rome, Dom Pothier offre ses services le 15 janvier 1904 au pape, parlant de son admiration pour le chant grégorien, “art de la louange divine”. Le 24 février 1904, Pie X accepte le concours de Dom Pothier.

Le 25 avril 1904, Pie X nomme une “Commission pontificale pour l’édition vaticane des livres liturgiques grégoriens”, présidée par Dom Pothier, pour préparer une Édition Vaticane des livres de chant grégorien. Après un début d’année orageux, c’est le pape Pie X, par le cardinal Merry del Val, qui impose le Liber Gradualis de 1895 de Dom Pothier pour base de l’Edition Vaticane. Les dissensions apparues au sein de la Commission, amènent certains membres à se retirer. Néanmoins l’Édition Vaticane se poursuivit, et en 1908, le Graduel parut, comportant outre les pièces anciennes, des Messes de fêtes nouvelles composées, centonisées ou adaptées par les rédacteurs de la Vaticane, principalement par Dom Pothier. L’édition vaticane était publiée à tirage limité et servira de modèle aux différents éditeurs qui voudraient la reproduire. La publication du Graduel fut suivie de celle de l’office des défunts en 1909, et de l’Antiphonaire en 1912. Les collaborateurs les plus proches de Dom Pothier sont alors Dom Andoyer, prieur de Ligugé, qui avait déjà travaillé avec lui à Solesmes aux éditions de chant grégorien, et Dom Lucien David, moine de Saint-Wandrille.

Dom Pothier réside ainsi à Rome la majeure partie du temps de 1904 à 1913. Le Père Abbé tenta à plusieurs reprises, au cours des vingt ans d’exil, de négocier un retour de la communauté dans son Abbaye normande. Le 11 septembre 1906, à l’occasion d’une revente de l’Abbaye de Saint Wandrille, l’affiche suivante fut apposée à Caudebec : « Vente de l’Abbaye de St-Wandrille – Avis au Public – Le public est prévenu qu’aux termes de la loi canonique toute personne qui se rendra adjudicataire de l’Abbaye de Saint-Wandrille sans avoir préalablement obtenu l’autorisation du Saint-Siège sera de plein droit *excommuniée* et qu’il en sera de même de toute autre personne à qui elle pourra ultérieurement transmettre cet immeuble.  Signé Dom J. POTHIER, O.S.B., Abbé de Saint Wandrille »

Dom Pothier ne craint pas de se lancer dans deux aventures, et entretient longtemps un projet de fondation plus classique. La première aventure ne connaît pas même un début d’exécution, celle de Fécamp. La seconde en revanche fut après vingt années difficiles, un succès : Saint-Benoît du Lac, au Canada. La situation d’exil se prolongeant, et en raison de l’improbabilité d’un retour prochain en France, dès 1908, et surtout à partir de 1910, la communauté avait envisagé plusieurs solutions, parmi lesquelles et non sans réticences, une installation définitive à l’étranger. En novembre 1910, le Chapitre de Saint-Wandrille admet “l'opportunité d'étudier pratiquement et de tenter la réalisation d'un établissement au Canada”. L’affaire n’eut pas de suite concrète immédiate. Deux ans plus tard, l’hypothèse reprend consistance, et Dom Pothier donne à Dom Paul Vannier, moine de Saint-Maurice de Clervaux, au Luxembourg, mais en résidence dans la communauté de Saint-Wandrille, l’obédience de se mettre à la disposition de l’Evêque de Sherbrooke dans la province de Québec au Canada, et de s’y employer aux diverses fonctions du ministère. Dom Vannier quitte la Belgique en juin 1912, exerce son ministère au Canada en vue d’étudier sur place l’éventualité d’une fondation. Un Domaine est acquis en décembre 1912 près du lac de Memphremagog, comté de Brôme, dans la province de Québec. Trois moines viennent rejoindre Dom Vannier au Canada en 1913, puis deux en août 1914, alors qu’en sens inverse des postulants arrivent du Canada en Belgique pour y accomplir leur noviciat. 

Le 30 novembre 1914, le fondateur, Dom Vannier meurt noyé ; la nouvelle n’en parvient dans l’Europe en guerre que l’année suivante (Dom Pothier, ne pouvant communiquer ni avec la France ni avec le reste de la Belgique, recevra la nouvelle par une lettre du Rme Père Abbé Primat de l’OSB, transmise à Conques par l’intermédiaire du Rme Abbé de Maria-Laach en Allemagne). La communauté de Saint-Wandrille étant dans la zone occupée par les Allemands, il est impossible pour Dom Pothier de désigner et d’envoyer au Canada un moine comme supérieur. Il faudra attendre la cessation des hostilités pour reprendre les relations entre les moines demeurés isolés depuis plus de quatre ans au Canada et l’Abbaye de Saint-Wandrille en Belgique. Après des hésitations, grâce à la persuasion des moines canadiens et aux encouragements de l’Evêque de Sherbrooke, Dom Pothier et le Chapitre de Saint-Wandrille acceptent le 30 mai 1919 de continuer l’œuvre canadienne. La graine semée en terre américaine allait pouvoir s’épanouir et les “religieux de la mission de Saint-Benoît-du-Lac au Canada” fonder le grand monastère qu’est devenu Saint-Benoît du Lac. 

Le troisième projet, peut-être le premier sur le plan chronologique, est le projet de fondation à Bazoilles, dans les Vosges. Dom Pothier a longtemps eu le projet d’y fonder un monastère, quand la situation de Saint-Wandrille serait affermie, mais en vain. En 1914, toute idée de fondation dans les Vosges était abandonnée.

Au moment où les bénédictins débutent les travaux d'édification de nouveaux bâtiments au prieuré de Conques, ils sont surpris par la Grande Guerre. Les premières batailles se déroulent devant la communauté; le village d'Herbeumont (à 2 km du prieuré) est incendié et les soldats allemands réquisitionnent le monastère. « Le drapeau allemand est arboré sur la maison [à plusieurs reprises perquisitionnée], qui devient une intendance » (Rme Dom J. Pothier) Toutes les communications avec la France et les pays alliés seront rompues pendant toute la durée du conflit, les religieux vivront très difficilement dans leur prieuré sans arrêt occupé par les militaires allemands, et subiront de nombreuses vexations. La communauté bénédictine se trouve privée de nouvelles, de ressources et de vivres.

A la fin de la guerre, le 18 décembre 1918, le Rme Père Abbé fête ses soixante ans de sacerdoce (et il fêtera ensuite son 60ème anniversaire de profession religieuse en 1920, pour lesquels le pape Benoît XV le félicitera par courrier). Dom J. Pothier, déjà octogénaire depuis 1915, sollicitera à plusieurs reprises la venue à Conques du prieur claustral de l’Abbaye de Silos, Dom Jean-Louis Pierdait. Le 1er décembre 1919, le Rme Père Abbé de Saint-Martin de Ligugé (en exil à Chevetogne), Dom Gaugain, arrive à Conques pour une visite canonique. Au cours de leur conversation, Dom Gaugain persuade Dom Pothier d’avoir recours à Dom Pierdait, non comme prieur mais comme coadjuteur. Le 24 avril 1920, en réunion capitulaire, Dom Pothier obtient le prieur de Silos comme abbé-coadjuteur. Ce dernier arrive à Conques le 24 mai, et reçoit la bénédiction abbatiale de Mgr Heylen, Evêque de Namur, le 11 juillet 1920 à Chevetogne. Dom Jean-Louis Pierdait succédera, à sa mort, au Révérendissime Dom Pothier comme Abbé de Saint Wandrille et ramènera la communauté en France.

Agé de 88 ans depuis la veille, le Révérendissime Père Abbé Dom Pothier décède le 08 décembre 1923 au prieuré de Conques, écart de Sainte-Cécile (commune de Florenville, Belgique.) Voir Acte de Décès. Le décès survient le jour-anniversaire de son baptême.

L'Abbé coadjuteur Dom Pierdait demanda au Révérendissime Abbé de Saint Maurice de Clervaux (Luxembourg), le monastère le plus proche, à ce que le corps de Dom Pothier puisse être inhumé dans le cimetière de l'Abbaye luxembourgeoise, en attendant le jour où son transfert éventuel pourrait être envisagé. L'Evêque de Luxembourg, Mgr Nommesch, présida en personne les funérailles de l'Abbé de Saint Wandrille le 14 décembre 1923.

A l’annonce du décès, plusieurs lettres et télégrammes de condoléances arrivèrent à Conques. Le 11 décembre arrivait un télégramme envoyé par S.S. le Pape Pie XI (Achille Ratti) : "Rome, le 11 déc. 1923, Sa Sainteté prend part au deuil de la famille bénédictine pour la perte du vénéré et si méritant Restaurateur des Mélodies Grégoriennes. Elle unit ses suffrages pour le repos éternel de ce digne serviteur de la Sainte Église".

Du Révérendissime Abbé Primat de l’OSB (Ordre de Saint Benoît), Dom Fidèle de Stotzingen : « Rome, le 10 déc., Dom Pothier était certainement une des personnalités les plus distinguées de l’Ordre. Moine modèle, il édifiait tous ceux qui l’approchaient par sa bonté et par sa charité. Par son zèle pour le chant grégorien, il s’est acquis les plus grands mérites et sera toujours nommé avec reconnaissance et admiration. Si aujourd’hui le chant liturgique est restauré et estimé dans l’Eglise, cela est dû en grande partie à son zèle et à ses travaux. Espérons que dès maintenant il pourra s’unir aux chœurs des Anges et chanter avec eux au ciel les louanges de Dieu, qu’il a si bien entonnées sur terre ». – Du Révérendissime Père Abbé Dom Ferretti, Directeur de l’Ecole Pontificale supérieur du Chant Grégorien : « Rome, le 10 déc., J'apprends la mort du Rme et très cher Père Abbé Dom J. Pothier. C'est un deuil non seulement pour l'Ordre bénédictin dont il fut l'illustration et l'honneur, et pour le monastère dont il fut pendant de longues années le Père, le Maître et le Pasteur, mais pour tout le monde grégorianiste et cécilien (...). Veuillez donc agréer nos plus vives condoléances pour une si grande perte, non seulement les miennes, mais celles de l'Ecole Pontificale supérieure de chant grégorien et de musique sacrée à Rome, qui s'associe à votre deuil et au tribut reconnaissant des prières qui vont être dites pour l'âme d'un Père et d'un Maître bien-aimé ». – De Mgr Foucault, Évêque de Saint-Dié, 12 déc. : « Le nom de Dom Pothier restera uni au chant grégorien, comme celui de Dom Guéranger à la restauration de la liturgie romaine en France. Ses travaux ont creusé le sillon dans lequel ses continuateurs devront marcher sous peine de se jeter en dehors de la bonne voie. Le diocèse de Saint-Dié est particulièrement fier d'avoir donné à l'Ordre bénédictin un moine qui l'aura honoré par ses vertus comme par ses travaux ». Le Révérendissime Dom Maréchaux, Abbé Olivétain, écrit du Mesnil-Saint Loup, le 11 décembre : « Je me rappelle à son sujet la parole de Dom Guépin, Abbé de Silos : Voilà un homme qui, dans sa modestie, est l'auteur de la révolution la plus heureuse et la plus durable qui se soit produite dans l'Eglise ». – Dès le 12 déc., Mgr Du Bois de la Villerabel, Archevêque de Rouen, adressait au clergé et aux fidèles de son diocèse une Lettre pastorale « pour leur faire part de la mort du Révérendissime Père Dom Pothier » : « Saint-Wandrille et ses ruines nous rappellent les temps amers où la France égarée momentanément dans une politique «abjecte» s'attirait le douloureux étonnement des nations amies et réjouissait les peuples ennemis, en jetant sur les chemins de l'exil les meilleurs de ses fils. La conscience nationale, réveillée par la guerre de la justice et du droit s'émeut aujourd'hui d'apprendre que l'admirable savant, l'artiste pieux qu'était le Révérendissime Père Dom Pothier, Abbé de ce monastère, est mort sur la terre étrangère et y dormira son dernier sommeil ». - Dom Mocquereau, dans la Revue grégorienne, évoquait la vie et l’œuvre de Dom Pothier : « Nous avons à déplorer la perte du chef qui, pendant de longues années, mena la bataille et nous conduisit finalement à la victoire : le Rme Dom Joseph Pothier, Abbé de St-Wandrille, vient de s'éteindre doucement à Conques, en Belgique, lieu de son exil, à l'âge de 88 ans ! En témoignage de reconnaissance, nous voudrions rappeler brièvement la part prépondérante et décisive que le vénérable défunt eut dans les travaux qui rendirent à l'Eglise l'antique mélodie de Saint Grégoire.  Il suffira, pour faire son éloge, d'énumérer ses oeuvres, de rappeler quelques unes des difficultés qu'il rencontra dans l'accomplissement de sa tâche ; point n'est besoin de grandes phrases : Opera eorum sequuntur illos ».

 

Au mois de septembre 1936, des fêtes ont commémoré, à Bouzemont (Lorraine), le centenaire de la naissance de Dom Pothier (la date réelle du 07 décembre 1835-1935 n'ayant pu être retenue). Le dimanche 20 septembre, l'abbé Ferry, curé de la paroisse, accueillait le successeur immédiat du Rme Dom Pothier à Saint-Wandrille, l’Abbé Dom Pierdait, qui allait chanter, en la petite église (la plus ancienne des Vosges) décorée avec goût, une messe pontificale. Monseigneur Marmottin, Evêque de Saint-Dié, présidait au trône, entouré d'un nombreux clergé qui avait pris place dans le chœur, dont l'abbé Guillaume, maître de chapelle de la basilique Saint-Maurice d'Epinal, disciple de Dom Pothier et animateur d'une schola réputée. Dans l'église archicomble, une messe du plus pur grégorien fut exécutée par les petits chanteurs de l'Abbatiale de Remiremont et la schola du grand séminaire de Saint-Dié. On solennisait la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs.  Après le bel Offertoire Recordare, admirablement interprété par les enfants de l'Abbatiale, le groupe des séminaristes exécuta à la perfection le magnifique motet de Vittoria O vos omnes, et un imposant choral de Bach à voix mixtes clôtura la cérémonie. Après la messe, Mgr Marmottin bénit la plaque de marbre commémorative apposée à la maison natale de Dom Pothier : « Ici est né le 5 [en fait le 7] décembre 1835 Dom Joseph Pothier, restaurateur du chant grégorien » .

En 1962, soixante et un an après que Dom Pothier ait dû quitter son Abbaye normande, les restes du Révérendissime Abbé ont été transférés à Saint Wandrille, et inhumés dans le cloître de l’Abbaye, aux pieds de la Vierge Notre Dame de Fontenelle, dans le caveau où reposait déjà son successeur Dom Pierdait.

Texte du nécrologe de l’Abbaye Saint-Wandrille, à la date anniversaire de la mort de Dom Joseph Pothier, le 08 décembre 1923 : "A l'ancien prieuré de Conques en Ardenne, décès du Révérendissime Père Dom Joseph Pothier, premier Abbé régulier de Saint-Wandrille depuis l'instauration de la Commende. Sous-prieur de Solesmes pendant plus de vingt-six ans, dont près de onze sous Dom Guéranger, Dom Pothier travailla avec son Abbé à la restauration de la liturgie en France. Après qu'il eut édité les livres de chant des monastères, il fut appelé à Rome par le Pape Pie X, et se vit confier l'édition vaticane des livres de chœur de la sainte Église romaine. Entre temps, Dom Pothier avait été nommé prieur de Ligugé, puis de Saint-Wandrille. Peu après il devenait Abbé de notre monastère, réalisant le nom de père plutôt que celui de maître, et faisant toujours passer la miséricorde avant le droit. En 1901, il dut prendre le chemin de l'exil avec ses fils et en 1912 fonder Saint-Benoît- du-Lac au Canada. Quelques années après la première guerre mondiale, Dom Pothier s'endormait dans le Seigneur; son corps inhumé d'abord à Saint-Maurice de Clervaux, repose aujourd'hui aux pieds de Notre-Dame de Fontenelle (1)."

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(1) La vierge Notre-Dame de Fontenelle se trouve dans le cloître de l'Abbaye de Saint-Wandrille-de-Fontenelle, à Saint Wandrille-Rançon (Seine Maritime).

Sources : D'après la biographie « Dom Joseph Pothier, Abbé de Saint-Wandrille, et la restauration du chant grégorien » de Dom Lucien DAVID.

 

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 L'ancien Prieuré de Conques, à Sainte-Cécile, Florenville (Belgique)